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COMMENT RESTER ENSEMBLE ?
N'hésitons pas à aller dans le sens opposé à nos attitudes. Quand nous croyons qu'il y a chez l'autre quelque chose qui ne va pas, alors on se dit qu'il est normal de le corriger, de lui faire sentir qu'il doit se corriger etc etc. Il y a un défaut, on corrige, on améliore, et ainsi de suite. Cela paraît à nos yeux parfaitement logique et justifié. Malheureusement en faisant sentir cela à nos compagnons, nous allons tous perdre un espace et une détente qui sont bien plus importantes que notre idée de perfection. Donc allons dans le sens inverse, aimons les manques de l'autre. C'est une tendresse de base, et qui dit tendresse dit détente. La nature de cette détente, est sans doute très proche de la nature de base de notre conscience, telle qu'elle est décrite dans de nombreuses traditions. Ceci va à l'inverse d'une volonté de perfection, qui n'est qu'une manifestation de nos à priori. Dans l'acceptation de l'autre, on ne subit rien, on reconnaît qu'il a des failles, on lui accorde ce courage qu'il a de vivre avec ses failles. Nous vivons tous avec des vides, des interstices qui sont très importants. Ce sont des terrains vierges, des endroits quoi ne sont pas meublés, des ouvertures vers un inconnu extrêmement sauvage, indomptable. Etre pleinement vivant, c'est vivre avec la conscience de cela. Nous avons tous différentes sortes de folies en nous. Seuls sont fous ceux qui ne savent pas qu'ils sont fous.
Vous voulez dire qu'il faut connaître
les mécanismes en nous qui ne relèvent plus de la rationalité
? L'irrationnel est un état sur lequel la rationalité n'a pas pu encore s'appliquer. C'est un état direct. On n'a pas besoin d'explication pour entrer en contact avec une pulsion ou une perception irrationnelle. On entre en contact avec, même si elle ne colle pas du tout avec l'idée que nous nous faisons de nous. On la connaît, ce qui ne veut pas dire qu'elle va prendre toutes les commandes. Parmi ces états où la rationalité ne fonctionne pas, il y a tous les premiers contacts, les moments de vide, l'impression de percevoir du vide, et les interstices entre nos projections. C'est une manière aussi de retrouver cet amour du " vide " cher à ceux qui veulent se réaliser hors du terrain des concepts.
L'amour du vide ? C'est reconnaître qu'il y a un espace vacant dans lequel va se produire une infinité de phénomènes. Et même s'il ne se produit rien, ce qui d'ailleurs permet de respirer et de se reposer, on aime l'espace en tant que tel. L'espace pour l'espace. Cette façon de faire exister l'espace est une base sur laquelle s'appuie toute relation, il faut d'abord que cela existe, on ne peut pas faire grand chose avant. Il faut qu'il y ait cet espace dans une relation. Et on peut se mettre d'accord pour l'établir ensemble. Parfois cela se fait naturellement, sans avoir besoin d'en parler.
Mais comment faire pratiquement
pour instaurer cet espace ? Quand nous restons dans l'espace, rien que pour l'espace, il n'y a rien à exiger. Il n'y a rien à apporter. Et on peut commencer à se rencontrer juste en savourant ensemble cet espace libre, où l'on n'a strictement rien besoin de mettre. C'est une pratique qui demande un silence. Un silence primaire, dans lequel le besoin de parler a disparu. L'espace silencieux devient alors une valeur commune très précieuse. Quand chacun est d'accord pour protéger et cultiver cette qualité de silence, cela crée une méditation naturelle à deux. On ne se demande plus s'il y a quelque chose à dire ou à faire, ce n'est plus la peine. C'est déjà un grand soulagement. Comme il n'y a rien à faire pour changer quoi que ce soit, c'est un temps de totale acceptation, et cet accordage peut continuer ensuite sans effort. On se trouve en sécurité, on n'a plus besoin de se demander ce que l'autre pense de nous, ce qu'il pense n'a aucune valeur, la valeur suprême est ce silence qui est la base réelle de notre inspiration commune. Vous voulez dire qu'il faut savoir
méditer pour être ensemble ? Pas exactement, ce ne serait pas une démarche spontanée. C'est plutôt qu'on accède ensemble à une forme de contemplation de l'espace et de son silence. Il n'y a pas encore besoin de méditation au sens technique du terme. Mieux vaut commencer par ce partage naturel, au lieu d'instituer des pratiques formelles.
Oui, mais on ne peut pas vivre tout
le temps comme ça ! Dans le silence, la léthargie. C'est pour cette raison que l'on considère que ce n'est qu'une base, un point de départ vers autre chose. C'est un arrêt commun de toute action, un état de partage naturel où il n'y a rien à prendre, et rien à donner de particulier. On sait qu'on peut toujours y revenir ensemble, le partager, et juste la possibilité que cela puisse exister colore déjà ce qui se passe entre les silences partagés, dans notre quotidien ordinaire.
Et ensuite, qu'est-ce qu'on fait
? C'est sans doute la question qu'il ne faudrait pas se poser, car elle réintroduit les idées de calculs. Ce qui va se passer ensuite va être parfaitement naturel, car cela va découler du silence, on pourra le suivre. Ce sera sans doute une manière d'être très dépouillée, très directe. C'est un acte tout a fait simple, utile et fonctionnel qui va ré-émerger. Pour que cela ait lieu, il n'est pas nécessaire de se demander ce que l'on va faire après, cela va se faire naturellement. Si on se pose cette question, c'est qu'on est déjà sorti du silence. La question " qu'est-ce qu'on va faire après " ne fait que passer, sans briser le silence.
Et si on retombe dans un état
lamentable ? On sait où se trouve la base, et on sait quelle direction basique il faut reprendre avant de se lancer dans quoi que ce soit. On ne cherche pas à s'emmêler dans des complications, des constructions.
Il me semble que cette attitude
un peu molle va manquer d'efficacité, par manque d'une certaine
agressivité. On risque de ne plus faire le poids face à
une personne qui a plus de " chien " que nous. On pourrait se centrer plutôt sur la vitesse dans son aspect direct, ainsi que sur l'impulsion que nous pouvons apporter à une situation, ou à une relation. On part d'un état de détente plutôt que d'un état de tension, et avec une énergie directe qui va se manifester librement. L'état agressif va plutôt épuiser l'organisme, et en plus s'épuiser lui-même, l'agressivité va s'arrêter. La détente ne s'épuise pas, et en plus, laisse le temps au " jus " de revenir dans nos réservoirs d'énergie.
Mais si l'autre nous passe ses tensions, sans que l'on puisse rien y faire ?
Mais si on nous force à rester
dans un point de vue... tendu? C'est à nous de créer des espaces où nous pouvons changer de mode. Il nous faut être en état de changer de mode, de passer d'un mode à un autre sans se faire bloquer, sans se faire contenir dans un mode unique. C'est à nous d'apprendre cela et à le pratiquer, cela ne sert à rien de dire que c'est la faute à l'autre. Et ces changements de mode, on les fait déjà tous seuls.
Il faudrait s'entraîner tout
seul à changer nos points de vue ? C'est une sorte de sport intérieur
? Je n'ai jamais entendu parler de ça. Ce n'est pas aussi difficile qu'on le pense. Notre vie intérieure se vit sous l'éclairage de notre imaginaire, de nos rêves, de nos aspirations. Ce ne sont pas des activités qui demandent des efforts. Les changements de points de vue peuvent être aussi souples et faciles que ça.
Mais alors pourquoi est-ce qu'on
ne le fait pas plus ? Il y a un problème de contenu. Dans ces trois espaces que sont notre imaginaire, nos rêves, et nos aspirations, nous ne savons pas quoi mettre, et nous sommes passivement nourris par l'extérieur. Ce qui devrait être une zone de liberté quasi totale est devenue un réservoir dans lequel divers conditionnements tentent plus ou moins de se déverser, et ensuite de coexister tant bien que mal ensemble. C'est dans cette reprise de liberté qu'il y a un réel effort à fournir, un cap de lucidité à maintenir. Pour libérer l'intérieur de nous mêmes. Intérieurement, nous pouvons toujours être autre chose que ce que nous sommes en train de subir. Par exemple nous pouvons devenir " air ", ou bien " oiseau ", alors que nous nous engluons, tout ce genre de choses qu'il faut être libre de mettre en nous au besoin, libre de devenir. Pour faire cela il ne suffit pas de penser à un oiseau, ou bien à de l'air atmosphérique, il faut avoir en soi une ressource de pouvoir, un oiseau de pouvoir qui prend facilement une place en nous, un vent de pouvoir que l'on a déjà rencontré au cours d'une expérience exceptionnelle. Ce genre d'expérience portent des contenus puissants, et vivant dans notre vie intérieure. Elles peuvent émerger dans notre imaginaire avec intensité et faire un sacré ménage dans notre torpeur.
Cela paraît absurde de d'abord
se faire conditionner au cours de notre éducation, pour ensuite
essayer de se déconditionner. D'autant plus que ces conditionnements
sont indispensables dans notre monde quotidien. Justement ce travail de tri dans nos conditionnements développe une nouvelle forme de discernement, et de recul. Dans un premier temps on évalue ce qui nous constitue, nos préjugés, nos savoirs, nos réactions automatiques, nos comportements mécaniques, au lieu de laisser fonctionner tout ça comme un programme de machine à laver. Dans un second temps, on se met à court-circuiter, à ralentir les réponses conditionnées que l'on ne veut plus voir fonctionner parce qu'elles emprisonnent notre perception.
Mais reste que c'est une situation
absurde, passer notre temps à nous conditionner, puis à
nous déconditionner. Je ne vois pas très bien ce qu'il y
a de spirituel à passer son temps à faire ça. Sortir de nos actes mécaniques est une liberté spirituelle. Les conditionnements ne parlent pas de la nature profonde de notre esprit. Le désir de libérer notre perception va vers la richesse du monde, c'est une acceptation directe et globale du foisonnement général, sans ce vieux réflexe de protection qui consiste à simplifier le réel.
Bon, pourquoi pas, mais c'est un désir, c'est une lutte, c'est le contraire du non agir, de la contemplation, et de la méditation que préconisent les spiritualités. Comment être dans le " non-agir " alors que nous devons lutter contre les conditionnements ? C'est une distanciation qui remet de l'espace entre nous, et nos réponses mécaniques. Nous croyons penser telle ou telle chose par nous mêmes, mais cela n'a pas été notre propre déduction, nous répétons des pièces d'informations qui sont entrées dans notre cerveau sans que nous sachions comment. Il nous faut retrouver cette lucidité qui nous fait prendre conscience de ce qui entre, et de ce qui sort. Nous regardons du coin de l'oeil l'origine de nos pensées, et leur destination. Cette conscience est respiratoire. C'est une méditation de très grande ampleur dans laquelle on ressent ce qui entre et ce qui sort. Les inspirs et les expirs sont ressentis à fond. Même si ce n'est pas de l'air mais toutes sortes de contenus psychiques, à la fin, l'air devient plus présent, et nous respirons enfin, sans lutter contre les pensées qui, elles, passent leur chemin et se diluent.
Vous êtes en train de nous
décrire un véritable cauchemar. On dirait un enchevêtrement
d'épines dans lequel nous sommes coincés, et il faut sortir. Cela se fait dans un état de calme, et de détachement. Détachement vis à vis du fait que l'on va pouvoir se libérer ou non. Que l'on se libère ou non, cela n'a finalement aucune importance. Cette contemplation de nos propres processus est déjà une activité libératrice. Pendant que l'on fait cela, on se sent libéré, mais c'est dans l'instant, car nous ne sommes pas définitivement libérés. On ne cherche pas à être définitivement libéré, ce serait un autre asservissement. Cela se fait tout seul. Nous vivons dans le pressentiment, l'entre vision d'une libération, et nous baignons déjà dedans. Nous sommes curieusement déjà au dessus de ce qui nous attache, et au dessus de notre libération. Avant qu'une pensée n'apparaisse dans notre esprit, nous savons qu'elle est contemplable. De ce fait, elle a déjà perdu son pouvoir de possession. Et même, elle est libérée avant d'apparaître dans notre esprit. Même avant de venir, elle est déjà libérée. Vous voyez, les pensées étant comme de la fumée, elles ont en elles déjà un programme de dilution. Ce qui fait qu'elles s'autolibèrent. Nous suivons cette nature là. Ce par quoi nous croyons être asservis a une nature d'autolibération. Nous assistons à cela.
Il y a un sacré malentendu.
On nous a toujours fait croire que nous étions là, comme
des êtres attachés par quelques démons, dans un monde
d'illusions, et qu'il fallait s'arracher de là à tout prix. Les illusions se diluent, c'est dans leur nature. Il suffit de suivre ces dilutions, cela nous guide et nous éveille. Mais nous avons tendance à attraper, à fixer, et à en rajouter, tout en ayant peur de tout perdre. Il n'y a pas de dualité, la nature de l'illusion nous éveille, c'est pour cette raison qu'il n'est pas besoin de s'interdire de la contempler.
Mais je suppose qu'il nous faut
tout de même tout libérer, on ne peut pas se contenter de
faire les choses à moitié ? On ne va pas se libérer
à moitié. Il faut donc se traquer, se nettoyer, se réveiller
complètement. Cela nous ramène à ce que nous disions au début. Nous pouvons rester dans cette même attitude d'espace tranquille. C'est comme être avec quelqu'un, notre problème est comme une personne, c'est une relation avec un objet, avec une partie. Et donc on peut créer ce même espace. Tout est déjà par nature libéré, puisque c'est une unité. Il n'y a pas besoin de pratiquer une inquisition interne. S'il y a un travail à faire, c'est sans doute d'inventer des exercices qui nous réveillent, mais qui en eux mêmes ne sont rien, il ne faut pas s'y accrocher, ce ne sont que des trucs. L'important est d'être en état de sentir, de savoir où nous en sommes vis à vis de cela.
Donc on ne tente pas de devenir
parfait ? Ce n'est pas la peine, cela se passe sur un tout autre plan. C'est un plan qui n'a rien besoin de vouloir. Cette absence de vouloir va permettre à notre conscience, et à nos perceptions d'être gorgées d'énergie pour être plus lucides, sortir de la paresse de nos réponses toutes faites et de nos tensions. L'éveil est une nature, la perfection est une idée. C'est cela qu'on nomme " voir
les choses telles qu'elles sont " ? Comment cela peut-il être,
puisque la perception implique toujours des coordinations, et donc l'intervention
de l'intelligence ? Nous ne savons pas ce que sont réellement " les choses ". Mais nous pouvons nous sentir plus direct qu'avant. Cela nous pouvons le sentir. Il est sans doute impossible pour une " personnalité " d'atteindre une relation absolue avec la réalité. En plus n'y a pas de " choses telles qu'elles sont " puisqu'il n'y a pas d'objets. Les objets sont une construction de notre cerveau, de notre psychologie. Ce que nous pouvons pratiquer sans cesse, c'est de voir nos projections, prendre conscience de ce que nous rajoutons, et ensuite, avec énormément de chance, jeter un il entre nos projections pendant qu'elles suivent tranquillement leur destinée. C'est comme si nous prenions conscience d'un support qui est présent et sert de base à tout objet. Bien entendu, tout cela est très subjectif. Mais le sentiment d'unité vit en nous, sans avoir besoin de beaucoup de coordinations mentales. Mais comment savoir si nous ne sommes pas encore des projections ? En tous les cas, nous savons que nous ne sommes pas prisonnier dans un seul mode de perception. Cela sert de validation en quelque sorte. On peut voir ça comme un repos des coordinations mentales pour s'ouvrir davantage, ou aussi comme des coordinations nouvelles. Au moins à ce niveau nous sommes certains qu'il se passe quelque chose, même si nous doutons que l'Eveil ou l'unité avec monde existent.
Il faut remplacer la perfection
par une union non conceptuelle avec l'univers? A condition de ne pas se sentir en union.
Quoi, maintenant il ne faut plus
se sentir en union? Parce qu'en essayant de décrire toujours mieux, il y a le danger d'arriver à une vérité. Nous ne faisons que manier des concepts. Si nous pensons " union ", c'est que nous ne sommes pas en union. Mais ce qui est amusant, c'est qu'il y a un parleur en nous qui va s'auto-convaincre, et " nous convaincre ", que nous sommes arrivés quelque part, alors que c'est faux. Car nous sommes revenus dans nos concepts, et donc dans un mode déjà connu. Il faut plutôt laisser agir en nous l'état d'union sans penser, accepter les transformations positives de l'ouverture.
Mais on ne peut pas se forcer à
se taire pour rester dans cette union comme un légume inconscient,
comme les animaux. C'est le contraire qui se passe. Il y a une part de nous qui n'en finit pas de s'aiguiser. Elle prend conscience de mieux en mieux des processus. Elle ne cherche pas à les combattre, mais elle développe la finesse de sa vision, c'est dans ce domaine que tout se passe. Quoi qu'il advienne, la conscience fonctionne pour voir ce qui est en train de se passer, cela signifie déjà que ce qui se produit est fondamental. A propos des animaux, nous les sous-estimons parce que notre capacité d'observation à leur égard est extrêmement primitive. Il suffit de créer de nouveaux points d'observation pour nous apercevoir que nous ne savions rien. Au lieu d'essayer de nous mettre ailleurs pour regarder, nous préférons dire que les animaux sont complètement idiots, pareil d'ailleurs pour le reste de l'univers. En fait on ne sait rien de rien. Nous devrions étudier notre ignorance avec assiduité comme n'importe quel sujet scientifique.
C'est ce que fait l'épistémologie. Et on voit bien que ça n'intéresse pas grand monde. Mais sans aller jusqu'à l'épistémologie, rien qu'avec nos perceptions nous pouvons voir nos illères. Notre regard contemple nos illères en sachant que quelque chose est caché dans notre champ de vision. Il faut bien comprendre que c'est un état d'être et non pas une simple note intellectuelle, c'est un état dans lequel il faut être. Notre vision restera toujours parcellaire,
c'est un processus d'affinage qui est sans fin. On ne va pas d'un seul
coup basculer dans une libération totale. A force d'aiguiser la
lame, on va se retrouver sans rien. Oui à force d'aiguiser le fil de notre conscience, on va se retrouver sans lame. Nous pensons qu'à force de travail spirituel, nous serons de plus en plus conscients, et ceci à l'infini. Mais non, ça ne se passe pas comme ça. Cette histoire d'hypertrophie de la conscience est encore un autre bobard. Cet état où il n'y a plus rien à aiguiser, où notre conscience même disparaît, fait partie des états les plus inconcevables que nous puissions rencontrer. Notre conscience, c'est ce que nous avons travaillé le plus dans la voie spirituelle, c'est ce qui semblait le plus profond, c'est ce que nous avons acquis " spirituellement ", c'est notre récompense. Cette chose que nous avons entrevu comme étant la plus inaltérable, qui semblait la plus ultime, et bien, elle part elle aussi en miettes.
Tout ces efforts pour rien, pour
arriver à rien !?
Cela ne colle pas du tout ! Qui
va se rendre compte de ça puisqu'il n'y a plus d'individu ? Et
quand on dit " unité du monde ", ce n'est encore qu'une
idée de notre cerveau. Tout comme " conscience " n'est qu'un concept. Les choses ne marcheront jamais comme nous pouvons les penser. Même dans cette activité si noble de la " prise de conscience ", il y a l'action de prendre. C'est fut déjà une erreur d'avoir voulu prendre la conscience. L'union est sans doute tout autrement.
Je voudrais vous redemander "
comment rester ensembles " ? En sentant ensemble dans quelle situation de fond nous sommes. Nous pouvons au moins partager, admettre et ressentir très profondément l'existence de cette énigme. Notre mental peut exprimer sa propre impuissance, et les pressentiments se libérer un peu plus. En reconnaissant notre ignorance, nous nous replongeons ensemble dans le mystère, comme si ce dernier devenait une matière. C'est une expérience inoubliable de laquelle on ressort différents.
J'en connais une tripotée,
des gens qui ont des " pressentiments " comme vous dîtes. Il est certain que nous sommes loin
du désir de changer l'autre au nom d'une perfection. Vouloir améliorer l'autre va supprimer l'espace au sein duquel nous pourrions nous libérer. C'est comme si nous mettions des meubles et des bibelots partout, en disant à notre partenaire que ça va nous permettre de danser beaucoup mieux. Si nous voulons vivre avec une personne, ce n'est pas pour ce qu'elle pourrait devenir, mais pour ce qu'elle est, devant nous. C'est dans cette respiration là que la magie de l'évolution va se produire, et sûrement pas en suivant le programme qui nous obsède. On ne force pas l'autre à prendre telle ou telle forme. Au contraire, il faut assumer ensemble notre absence de forme, et notre aspiration à l'union. Donc un certain silence, l'acceptation d'un vide, sortir de notre paranoïa vis à vis du vide.
Je ne suis pas du tout d'accord
avec vous. Il y a des couples qui suivent un parcours d'évolution.
Et parfois c'est l'un des partenaires qui conseille l'autre. Dans ce cas ça fonctionne parce qu'il n'y a pas de remontrances, pas de menace de rétorsion, pas de chantage à l'abandon, pas de punition affective qui soit brandie. Si le conseil est détaché, il n'y a pas de chantage. L'un accepte l'autre comme guide à certains moments. Il soupèse les conseils, et le conseilleur accepte que ses conseils changent de forme et de chemin. Il n'est pas accroché à une forme, à un projet, à un programme. Il y a d'autres cas qui fonctionnent aussi bien pendant un certain temps. C'est lorsque un partenaire devient la chose de l'autre. Mais c'est une relation dans laquelle le dominant sent très bien son partenaire, et sait ce qu'il aimerait.
Il va donc au devant de l'autre,
au lieu de vouloir le créer à son désir ? Oui, il trouve son compte en faisant jouir l'autre de son évolution.
Cela me paraît un peu plus
tordu que les acceptations du mystère. La contemplation commune
dont vous parliez a l'air plus simple et plus pure. C'est moins acrobatique,
et moins risqué. Cela dit je présume que l'on peut devenir
un peu gaga dans cet état là, ou bien s'ennuyer ferme. Il y a cette base de mystère à laquelle on revient, parce que notre situation humaine nous y renvoie sans cesse. Mais cet accordage permet de faire des pratiques ensemble qui sont très puissantes.
Genre tantrisme sexuel ! Non. Il ne s'agit pas de cela.
Quel sortes d'exercices alors ? Dans l'accordage et dans la contemplation dont nous avons parlé, les personnes deviennent égales. Il se produit une équivalence, un effacement. A partir de là, il est possible de commencer des exercices où vont s'échanger de l'énergie et des informations très puissantes de part leur intensité, et leur signification.
Oui tout à fait comme dans
une effusion amoureuse. Je ne vois pas en quoi c'est différent
? Et pourquoi ça serait différent ?
C'est bien ce que je disais, c'est
du tantrisme sexuel, ou amoureux. Sauf que là nous sommes dans l'énergie pour l'énergie.
Vous voulez dire qu'il n'y a même
plus de sentiments ? Comme des robots ? C'est plutôt du sentir que des sentiments. Vous voyez, c'est comme si à ce moment l'énergie sentait l'énergie, il n'y plus de collages affectifs, ou bien alors ils ne font que passer ou sont recyclés comme énergie.
Je ne comprend absolument rien à
ce que vous dîtes. Il semble que le commerce des pratiques tantriques de couple ait inversé le sens du travail. On se sert de la grandeur de l'Esprit pour pimenter nos relations, pour aller dans un amour idéal. Alors qu'il faudrait nous diriger vers un amour absolu, ce qui veut dire sans condition. Dans le couple dont je parle, c'est l'inverse. On se sert des ressorts énergétiques les plus puissants que nous avons à notre disposition, nous les faisons fonctionner naturellement, mais pour qu'ils nous montent, qu'ils nous élèvent. Quand nous ressentons un très fort élan vers une personne, même si c'est un élan qui semble purement physique ou uniquement sexuel, cela n'a pas d'importance. C'est une éruption d'énergie. La seule différence, c'est que cet élan va continuer sur sa lancée, et va rejoindre les états d'élévations les plus hauts que nous connaissons.
Pour parler concrètement
et crûment, par exemple, nous sommes en train de jouir... Peu importe, vous avez un très fort désir, laissez-le se continuer, et allez jusqu'à toucher l'Esprit avec. Utilisez les forces, les tremplins, les poussées qui sont en vous pour aller vous relier à l'Esprit. Vous êtes en train de jouir de la manière la plus banale, et bien menez cette jouissance le plus haut possible, jusqu'à ce qu'elle touche l'Esprit. Offrez-là comme une propulsion pour rejoindre l'ampleur de l'univers. On peut relier toutes les forces à l'infini. Cela ne coûte rien, cela n'empêche rien, au contraire, on entre dans le vaste, et nos élans sont reliés à l'immense. C'est très simple, et on n'a plus ce sentiment de retomber dans la réplétion, et dans la torpeur qui suit les satisfactions. Il n'est pas besoin de classer nos forces, de dire qu'il y une sexualité par là, un sportif ici, ou un intellectuel de l'autre côté. Il y a des forces et des élans que nous pouvons faire monter vers ce que nous connaissons personnellement de plus haut.
Oui mais pour faire ce que vous
dites, il faut déjà connaître une certaine hauteur. C'est ce à quoi nous devons nous exercer de nous mêmes, sans avoir eu besoin d'être acculés par les circonstances. Cela est sous notre responsabilité. C'est là que se situe notre discipline de vie. Il nous faut connaître le chemin pour nous relier à la grandeur, avoir la direction en nous, dans notre corps, dans nos actes. Cela peut se faire en méditant devant des montagnes, devant l'infini d'un mur blanc, face au ciel. Ce sont autant de soutiens pour aller vers ce qui nous dépasse. Nous n'avons pas besoin d'attendre que le ciel nous tombe sur la tête. Nous n'avons pas besoin d'attendre une révélation. Nous pouvons déjà nous ouvrir à l'immensité, faire comme si nous parlions avec elle. Mais attention, c'est une sorte de grandeur qui n'exclue rien. Au contraire, cet infini nous ramène sans cesse à notre qualité de présence. L'inspiration de l'immensité n'est pas là pour que nous nous évadions. Tout ce qui existe nous mène à la Présence. C'est en développant cette Présence que nous pouvons rester ensemble.
Qu'est-ce que c'est " L'Esprit " dont vous parlez? C'est une notion qui peut appartenir à n'importe qui. C'est ce qui se trouve au sommet de tout, c'est ce qui surpasse tout, c'est ce qui est au bout de tout. Cela n'importe qui peut le pressentir, quelque soit ses croyances, ce n'est pas important. Avec n'importe qui, nous pouvons partager l'immensité et l'énigme dans lesquelles nous sommes en train de vivre. Il n'y a pas de dogme qui tienne la route, les dogmes deviennent des murs. Non, l'immensité est là, pour tous, ce qui est au bout nous dépasse tous. Que l'on ne vienne pas nous raconter que quelqu'un a vu le bout du monde. Nous partageons une énigme qui est au delà de tout ce que nous pouvons ressentir ou imaginer. Nous sommes tous à peu près dans la même situation.
Donc si je comprend bien, en ressentant
à fond l'énigme du monde, l'existence de son mystère,
on prend déjà de la hauteur. Ce n'est pas la peine d'entrer
dans les mêmes croyances. Mais vous parlez aussi d'exercices. Ce qui manque, c'est de faire vivre le ciel en nous, de le rendre vivant. Peu d'entre nous avons une vie qui le permette. Cela peut se faire parfaitement naturellement, ou plus artificiellement avec des exercices pratiques. Il y a des exercices que l'on peut pratiquer à deux ou à plusieurs, dans un cadre bien défini, et avec une éthique solide. Avant toutes choses, il faut commencer par sentir ce qui circule dans l'espace entre deux personnes. Habituellement nous sommes absorbés, quasiment au sens propre, par nos relations physiques, par nos désirs et par nos manques, au lieu de les inclure dans un ensemble plus vaste qui ne les rejette pas. Il existe par contre des exercices durant lesquelles on va sentir ce qui se passe sous forme d'énergies très puissantes. Ensuite les partenaires vont laisser émerger des combinaisons, des configurations d'énergie qui leur semblent pertinentes pour leur couple, pour leurs rôles, pour leur préférences, et pour leur relation. Il s'agit avant toute chose d'être capable de sentir l'énergie. Il ne s'agit pas du tout de se faire croire que nous participons à un rituel exotique qui va nous exciter plus que d'habitude. Non c'est bien plus décevant que cela, plus dépouillé, il n'y a qu'un squelette, et ce n'est même pas un vrai squelette, c'est notre axe d'énergie que nous ressentons, et la relation qu'il établit avec ce qui est autour. Les partenaires apprennent d'abord à s'identifier à leurs énergies, et c'est ensuite qu'ils entrent en relation, sans avoir besoin de se toucher.
Par exemple ? Par exemple un homme déploie son énergie jusqu'à entourer sa compagne, pour la protéger. Il donne de l'espace sans chercher à faire pression. Sa compagne se retrouve donc entourée d'une énergie très forte dans laquelle elle a un espace libre, pour une liberté totale d'être elle même en tant qu'énergie. Elle peut à son tour déployer des formes qui lui sont propres. Ensuite il y aura des points de contacts possibles entre ces deux figures d'énergie.
C'est une sorte de danse ? L'idée est de se déployer directement, et puissamment, au lieu de se demander comment s'exprimer, quoi faire, qu'est-ce qui est interdit, se demander si on peut faire ceci ou cela. On exprime directement sa force dans un cadre clairement positif. Notre énergie bouge autour de nous, juste autour de nous. Le guide sert d'arbitre, d'inspirateur. Il va sentir quelles configurations sont mûres pour s'exprimer, et les encourager à fond. Le guide ne se mêle pas de l'intimité du couple, ce n'est pas nécessaire, il faut que cela reste parfaitement clair, il n'a pas à dire comment les personnes doivent avoir des contacts intimes. Sur une base énergétique, c'est ensuite le couple qui voit comment il peut s'appuyer sur ce qui lui est personnel. Cette éthique stricte est nécessaire, non seulement pour éviter toute confusion, mais aussi pour ne pas accorder au guide une place qui ne lui revient pas, et qui le mettrait sur un piédestal où tous les abus sont possibles. C'est aux personnes de faire le lien avec leur intimité et de s'inspirer des manifestations de leurs énergies les plus subtiles. Evidemment il est possible de parler de ces sensations, mais ce sont les partenaires qui doivent se débrouiller, c'est une façon naturelle de se responsabiliser et de se prendre en main de manière autonome.
Quel rapport peut-il y avoir avec
la vie quotidienne ? Dans notre exemple, il est possible que l'homme partent des sentiments négatifs qu'il éprouve dans sa vie. Par exemple se serve de ses frustrations, de sa colère, de son aspect dominateur, ou de son machisme. Il en prends bien conscience, et ensuite il développe tout cela comme pure énergie, il se défoule et s'exprime dans cette intensité. Mais c'est maintenant pour offrir à sa partenaire sa propre protection, un espace puissant, et une disponibilité à l'échange. Le guide veille à ce que chacun soit bien protégé, que chacun pousse son énergie à son maximum, et que tout reste positif. Chacun peut alors être ce qu'il est sans briser l'énergie de l'autre. Peu à peu les personnes se règlent en se sentant, et il émerge une forme harmonieuse commune.
Et ensuite ? Au lieu de vivre dans une relation étriquée, chacun déploie donc son pouvoir grâce à un cadre mis en place. Ensuite, à partir de ces positions de pouvoir, dans lesquelles chacun est enfin l'égal de l'autre, il peut se produire des contacts différents, une approche différente, une découverte de l'autre. Dans ses pratiques, chacun apprend en le faisant, à faire vivre l'espace vital commun, malgré le très fort niveau d'intensité qui circule.
Les relations intenses auraient
tendance à supprimer de l'espace ? C'est sans doute le propre des passions. Leurs énergies est fabuleuse, c'est un élan très précieux. Mais au bout d'un certain temps, cela peut se transformer en dogme, en déception. Les personnes commencent à étouffer. Elles vont précipitamment avoir envie d'aller respirer ailleurs, et cela va blesser la relation, sinon la rompre. Il est plus simple de prendre soin de l'espace, et qu'il y en ait toujours à l'intérieur de la relation même. Que l'on ne soit pas pris dans cette alternance d'étouffements, et de sorties précipitées, qui va finir par user la relation, et nous faire percevoir notre partenaire comme négatif.
Il y a quelque chose qui ne me convainc
pas dans tout ça. Oui.
Il manque quelque chose, je ne saurais
pas dire quoi. Comme si on en faisait tout un plat, comme s'il y avait
un peu trop de nombrilisme... non, ce n'est pas vraiment ça...
voilà, ces gens qui veulent à tout prix créer et
préserver un espace à eux... une sorte d'égoïsme
propret, où on passe son temps à nettoyer une relation pour
rester bien confortablement dedans. C'est une attitude qui semble finalement
élitiste, que peu de personnes peuvent réaliser, et la plupart
des gens autour ne peuvent pas vivre sur ce mode de relation. Cela me
semble créer une rupture. Ce qui manque, c'est peut-être de savoir comment faire pour être ainsi avec toutes les personnes que nous rencontrons. Cela pose la question de la fonction du couple, et de la famille sur l'ouverture vers le monde. Comment cultiver une relation, qui nous ouvrira toujours sur autre chose ?
Quels liens avec les pratiques dont
vous parlez? Nous ne pouvons pas améliorer la qualité de nos relations en espérant que nous allons créer un paradis dans lequel nous allons enfin vivre en paix, et finalement nous enfermer. Nous pouvons au contraire améliorer notre capacité à nous faire bousculer par l'inattendu. On peut se faire bousculer dans le couple. Mais pas dans des règlements de comptes. On peut jouer à se bousculer, on peut jouer les reproches, les colères, les anticiper, les voir venir, et puis les imiter pour désamorcer et libérer notre énergie sous forme d'humour. Cela permet d'exprimer ce que l'on veut, et d'avoir tout de suite du recul, de ne pas se prendre au sérieux. On joue à faire pression sur l'autre, mais l'espace est toujours là, il n'a jamais disparu. Quand nous jouons, c'est comme si nous n'étions plus enfermés, même s'il n'y a que deux personnes. Cette capacité de jouer avec nos problèmes, nous permet d'aborder ceux des autres, et aussi ceux que les autres nous posent, sans nous sentir dérangés. Il est toujours prévu au programme de se faire déranger tôt ou tard, et quand ça arrive, il n'y a pas de rejet. Et nous pouvons toujours nous demander calmement pourquoi telle ou telle chose nous perturbe autant. On peut donc pratiquer le couple comme un terrain de jeu et d'entraînement à se faire déranger. Si les autres nous voient jouer, cela change déjà quelque chose dans leur approche. Cela n'empêchera pas qu'ils vont tester le couple, pour voir si ce n'est pas une façade. Il ne faut pas que le couple se prenne au sérieux parce qu'on le teste. Il peut continuer à jouer.
Cela me paraît dangereux de
s'exposer comme ça. On s'expose dans une fourchette qui reste... digestible (rires). Au-delà on se retire pour préserver ce que l'on pourrait nommer alors l'intimité. C'est un seuil où la relation ne s'expose plus, mais où elle se reconstitue avec les nouveaux apports. L'intimité devrait être une digestion de l'ouverture au lieu d'être un enfermement excédé qui n'est plus qu'une saturation et un rejet. Et si on est seul ? Nous dirons que c'est pareil. Le rapport que nous avons avec nous est aussi comme un jeu. Nous jouons avec les personnages que nous sommes, nous les bousculons les uns avec les autres.
Nous sommes un couple ? Nous avons plusieurs couples en nous.
Nos parents, nos grands parents
etc, ils se mettent à jouer ensemble ? Ils annulent leur importance. Il ne reste plus que l'état de jeu avec le monde. La meilleure attitude pour apprendre.
Copyright PADOVA 26 Février 2002
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