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RELEVER LE NIVEAU DES " VOYAGES ASTRAUX "

Bonjour, je viens vous voir parce qu'on m'a dit que vous aviez, tout au long de ces dernières années, rencontrés et travaillé avec des hommes et des femmes qui possédaient des facultés extraordinaires dans différents pays. Je voudrais vous questionner sur ce pouvoir qui fait rêver beaucoup de gens, et qui consisterait à pouvoir sortir de son corps physique grâce à un " double " qui aurait la capacité de voyager où il veut. Avons-nous réellement une telle faculté de dédoublement?Je vous demande cela pour savoir si, personnellement, je ne suis pas en train de passer à côté de quelque chose d'important. Que peut-on essayer, et que faudrait-il faire ?

Vous allez vous rendre compte que, dans un premier temps, la question de savoir si lé dédoublement existe est inutile, comme tous les débats sur les facultés normales et " paranormales ". C'est un débat toujours stérile. Au lieu de se convaincre, de douter, de tenter de convaincre l'autre, ou de le dissuader, il faut ce centrer sur ce que nous sentons sans entrer dans des systèmes de preuves qui vont devenir obsédants, et donc faire fonctionner pauvrement notre mental. Nous pouvons traiter la question du dédoublement d'une façon tout à fait différente, et bien plus féconde qu'elle ne l'est dans la plupart des livres du " nouvel âge ".

Il suffit d'une part de vérifier les résultats pour voir si une faculté de cet ordre fonctionne chez nous. D'autre part, si une telle faculté fonctionne, nous pouvons l'utiliser pour notre développement le plus profond.

Comment faire ? On entend des âneries à l'infini à partir de cette soi disant faculté.

Il faut avant tout voir cela du point de vue de la libération, ne jamais perdre ce but ultime qui concerne non seulement tout notre être, mais aussi notre entourage, et notre environnement. Libération signifie au moins que l'on contemple clairement ce qui advient, mais, premièrement sans s'accrocher à quoi que ce soit, et deuxièmement sans rien repousser.

Il y a tellement de gens qui cherchent à s'évader en se faisant croire qu'ils parcourent des univers inconnus des autres, connus d'eux seuls, et qui nous font baver d'envie. On en devient presque complexé, on voudrait au moins avoir un aperçu.

Chercher à s'évader n'est pas une libération, parce qu'il y aura la peur de ne pas pouvoir s'évader. Il faut donc sortir directement.

C'est déjà une sortie alors ?

C'est une sortie directe. C'est à dire qu'on change directement de façon de voir. On est capable de changer de point de vue, de se mettre à une autre place, rien que par la perception.

Mais revenons à votre première question. Ce qui est intéressant dans la perspective du dédoublement, c'est qu'il nous semble que toute notre sensorialité, l'ensemble de notre capacité à sentir, se déplace en dehors de notre corps. Cela veut dire, par exemple pour la vision, que nous ne regardons plus à partir de la place physique de notre œil. Peu importe pour l'instant si cela est vrai ou non. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une nouvelle façon de nous percevoir, c'est au moins la faculté extraordinaire de ce concevoir d'une façon totalement décalée. Si l'on arrive vraiment à croire que toutes nos sensations se trouvent à l'extérieur de notre corps, cela entraîne automatiquement un nouveau rapport avec le corps. Personne ne va nier que c'est ce que nous vivons à ce moment là. Il faut déjà admettre qu'il y a un nouveau " vécu " qui produit des impacts sur ce que nous sommes.

Oui mais cela ne veut pas dire que nous sommes hors de notre corps.

Peu importe pour le moment. Ce qui est important c'est l'effet produit. Or l'effet produit dans un tel acte d'imagination, c'est que nous commençons à nous identifier à autre chose que le corps. Par exemple quand nous avons la sensation qu'une énergie part de nous, et mieux, que nous voyageons avec cette énergie, nous devenons cette énergie, et le schéma de notre être devient beaucoup plus fluide. Notre conscience ne se situe plus au même endroit. Cela aura des répercussions dans notre comportement quotidien. A ce moment, la pratique des voyages dits " astraux " n'est plus une évasion, mais une assouplissement général, et un rapport neuf avec la vie. Ce n'est plus le rejet dans une évasion éperdue, mais un va et vient.

Mais c'est un refus du corps ?

Le corps est toujours là, mais il est un objet dont on peut se détacher. Nous concevons que nous pouvons fonctionner sans notre corps.

Comme dans une NDE ?

Au lieu d'attendre qu'une NDE se produise, on joue avec cette possibilité de se concevoir sans corps. C'est un nouveau jeu. Et ce côté ludique remplace peu à peu la peur de perdre son corps.

Quoi ? On joue à mourir ?

Au moins il y a un jeu de l'imagination qui se conçoit sans corps, et dans cette nouvelle liberté, ce que l'on nomme la mort est pressentie dans une toute autre perspective. Au lieu que cela soit une perte, cela devient une forme de liberté nouvelle. D'autant plus que l'on a expérimenté des états de dédoublements.

Cela veut quand même dire que le corps est une entrave ?

Non, pas si on pratique le dédoublement aussi comme un jeu avec notre corps.

A cause des allées et venues ?

Oui, mais surtout parce que l'on joue avec notre sensorialité. On s'amuse à la mettre ailleurs, ce qui suppose que l'on ait une bonne connaissance de notre perception, donc déjà perceptions qui fonctionnent avec acuité. Dans cette pratique, le corps joue à apparaître et à disparaître. A un moment il est vraiment là grâce à la bonne consistance d'une activité sensorielle, et sensuelle, et ensuite plus rien, on ne le voit plus, on est ailleurs. On s'habitue à cette disparition, tout en conservant nos sens, et notre conscience.

Il faut donc être d'abord terre à terre, pragmatiques avec tout nos sens avant de démarrer la pratique?

Oui, c'est toujours dans cette même idée de ne rien rejeter. Il ne faut jamais pratiquer le dédoublement à cause d'un rejet du corps, on va à coup sûr produire beaucoup de projections.

Si une personne souffre dans son corps, ou bien ne peut pas bouger, il va rejeter son corps, il va vouloir le quitter.

C'est différent de quitter un corps avec tendresse, que de le quitter avec dégoût. Le voyage n'est pas le même.

Pour en revenir à un départ sain, beaucoup de gens ont peur de ne " pas revenir dans leur corps ", d'autres ont peur de trop se décaler vis à vis de leurs perceptions quotidiennes, et donc de devenir fous. Ils ne sont pas certains de retrouver l'état de départ parce que, en réalité, cet état chez eux n'est pas assez bien marqué.

Il faudrait donc commencer par des exercices de renforcements du corps physique ?

Nous devons avoir un rapport avec notre corps, seulement comme objet transitoire, et c'est ce qu'il est, donc sans avoir peur de le perdre. Or le plus souvent nous nous agrippons à notre corps un peu n'importe comment, même sans bien le connaître. Dans ce cas, vivre revient à avoir peur. Notre relation avec notre corps, c'est juste d'avoir peur de le perdre. C'est dommage de le vivre comme ça, en l'ignorant et en le limitant à ce point. Nous pouvons le respecter, et l'apprécier parce qu'il est fantastique et limité, et aussi parce que nous allons devoir quitter. Tout ceci ne nous empêche de le faire fonctionner, et le faire vivre pleinement.

Mais que faut-il connaître de notre corps pour arriver à cette relation ?

Prendre contact avec des aspects divers et très premiers, comme par exemple la chaleur, c'est très accessible, et c'est vital. Une personne qui a froid ne sent presque rien. Donc avoir, et produire une bonne chaleur, pouvoir la diriger. En fermant les yeux, dans le noir de notre intérieur, nous sentons à fond notre chaleur, là où elle manque, et là où elle est dense. Nous ne voyons plus notre corps, nous nous sentons entièrement comme une masse de chaleur. Ensuite nous prenons conscience que notre masse de chaleur est aussi une forme d'énergie. Nous sommes énergie, nous sommes cette énergie, nous pouvons la sentir en tant que telle sans même avoir besoin de sentir notre chair. Mais la chair n'est pas reniée, on s'amuse avec ces allers et ces retours. Nous dirigeons l'énergie dans divers lieux du corps. On quitte et on revient. Corps de chair et corps d'énergie, il y a un jeu entre les deux, sans aucune exclusion de l'un ou l'autre, mais au contraire inclusion. Alors déjà, nous percevons les choses sous formes de déplacements d'énergie, nous voyons aussi que nous produisons chaleur et énergie. Nous sommes dans un monde d'énergie.

Vous voulez dire que notre conscience est comme sur une charnière ? L'énergie peut aller soit à l'intérieur du corps, soit partir à l'extérieur ?

Oui, nous nous situons à un nouveau point de liberté, qui n'est pas une évasion, mais une possibilité d'aller dans ces deux directions. Il y a une équivalence qui s'impose lentement entre notre intériorité, et le monde extérieur. Plus nous réalisons cette équivalence, et moins nous avons de limite, puisque l'espace est profondément de même nature partout, et que nous tentons de le porter en nous. Nous sommes les frères de l'espace extérieur, nous ne sommes plus coincés à l'intérieur de nous.

Ensuite nous entrons encore plus dans la chaleur et l'énergie pour découvrir des sensations plus subtiles sous formes de vibrations.

Un peu comme si ces vibrations vivaient à l'intérieur de l'énergie que nous ressentons ? Vous entrez dans le squelette de l'énergie ?

A force de sentir, nous apprenons à différencier différentes formes de chaleurs, et donc différentes palettes et qualités d'énergie. Aucun lieu de chaleur n'est le même, chaque chaleur a sa propre chair. Avec cette forme de sensibilité, on va chercher à sentir les différences même minimes, même très subjectives, et nous allons finir par tomber sur des " vibrations " qui ne se ressemblent pas. Nous allons sentir diverses résonances, aucun endroit ne résonnera de la même façon. Dans cet état d'esprit, nous ne sommes plus des " je connais déjà ", nous sommes dans l'élan de percevoir du neuf, nous sommes en état d'explorer.

Cela fait penser à un jeu de société ? Est-ce que ce n'est pas un peu trop narcissique, un peu trop centré sur notre petite personne ?

Et pourquoi donc devrions-nous nous sentir coupables lorsque nous ressentons à l'intérieur de nous mêmes ? Quand nous entrons en nous, nous sommes en train d'apprendre des choses sur les mécanismes humains. Nous pouvons le partager avec d'autres. C'est en partie pour cette raison que l'on dit " connais-toi toi même, et tu connaîtra le monde ". Nous voyons aussi chez l'autre des mécanismes que nous avons découvert en nous, cela nous incite à être plus indulgent. Il y a cette forme d'indulgence qui mène à une faculté d'empathie très puissante, contrairement à la compassion classique qui est empêtrée dans une masse de concepts moraux.

Comment ne pas se retrouver dans un état de complaisance générale ?

En allant plus loin. Justement, continuons un peu plus loin.

Tu connaîtra le monde aussi parce que tu vas vibrer avec lui, au lieu d'être sans cesse possédé par tes propres obsessions. En général nos obsessions reviennent sans même désirer une solution qui les arrêterait. Lorsque nous ressentons des vibrations intérieures, nous pouvons alors percevoir le monde en vibrant avec. Evidemment cela ne marche pas d'une manière aussi tranchée, l'extérieur et l'intérieur marchent ensembles. C'est le propre des résonances du monde, on ne sait pas où se trouve la première résonance, c'est un système, l'ensemble des résonances forment un tout. Quand on accepte de ne plus s'appuyer sur des obsessions de pensée, quand on se sent énergie vibrante, alors il y a un partage naturel, concret, juste, les résonances se mettent automatiquement à leur place les unes par rapport aux autres.

En quoi cela va plus loin ? Et d'ailleurs plus loin que quoi ? Etant donné que nous baignons, tous ensemble, dans un même bain de résonances.

Ce n'est pas le bain d'un consensus, mais celui d'une plus grande clarté. Après des perceptions sous la forme de vibrations et de résonances, nous avons une sensation de luminosité plus fine. Nous voyons le monde aussi luminescent que notre regard est lumineux. Ce n'est pas de la lumière concrète, mais un sentiment de luminosité de base qui enveloppe chaque chose. Comme si de tout transpirait une lumière très subtile qui est au fond la " matière " même de ce que nous percevons. Quand on est en contact avec cette qualité lumineuse qui constitue toute matière, nous avons l'impression que la lumière elle même possède sa propre intelligence. Pourquoi faudrait-il qu'il y ait absolument un cerveau pour qu'il y ait une intelligence ou une conscience ? Lorsque nous percevons de la vie partout, la lumière est elle aussi vivante, et sans doute consciente.

Mais nous n'avons aucune preuve de tout cela ? En pensant de la sorte nous pouvons entrer dans tous les délires possibles.

Pas s'il existe un profond respect pour le monde qui nous entoure. Qui nous entoure au dehors et par dedans, qui nous tapisse. Quand on crée des délires, on utilise des morceaux de perception pour faire des montages personnels, pour construire ce qui nous ferait plaisir, cela revient à une sorte d'auto asservissement. Quand on respecte la vie du monde et son mystère, les choses ne se passent pas comme ça. Nous ne sommes plus le centre d'un délire, mais le centre d'une vigilance. Ce qui est important dans la faculté d'imagination, c'est de pouvoir se placer à des points de vue différents. C'est cette liberté là, de se mettre à la place d'autre chose, de faire des hypothèses, de vivre dans cette richesse qui tente d'approcher l'infinie richesse de l'univers.

On s'ouvre la tête !

" S'ouvrir la tête " comme vous dites. On s'ouvre par le haut, dans des ouvertures infinies, cela ne s'arrête pas, c'est de plus en plus grand, mais pas en terme de quantité. Dans cette direction, il y a une élévation qu'il nous faut assumer. Avoir ce sentiment de monter dans le monde. Cela veut dire que notre vigilance s'exerce dans des niveaux de plus en plus subtils. Il n'y a pas de repos dans le sens d'un arrêt final. Quand on réalise cela, nous sommes obligés d'avancer en maintenant en nous un état de détente. C'est la seule solution pour avoir une " endurance spirituelle ". Il y a de très belles traditions, comme le tantrisme shivaïte du Cachemire ou le Soufisme, qui insistent sur le fait de se baser sur notre état naturel de détente pour sentir le monde. Avec des tensions, on ne tient pas longtemps. Gaston Bachelard a eu une expression extraordinaire à ce propos. Il disait que lorsque nous devions vivre dans l'ascension, il nous fallait vivre avec une tension de la détente. Comprendre cela est capital. Ni on s'endort dans la détente, ni on fixe la tension. Non, on passe dans un élan supérieur, ascensionnel, sans crispation, mais avec une très grande dynamique intérieure.

Pourtant on est déjà allés très loin, avec le monde qui nous regarde, la lumière qui a conscience du monde...

Ce n'est pas parce que nous avons des sensations extrêmes, ou subtiles qu'il faut refermer le monde avec. Une fois que nous réalisons cette qualité lumineuse de l'univers, il nous faut considérer que ce n'est encore qu'une forme de couleur subtile, c'est une autre forme. Nous sommes toujours dans la création de formes. Les formes ne sont sans doute que des projections, et donc des illusions. Il faut alors commencer un voyage dans des étages de lumière, où l'on découvre des clartés qui ne sont pas de même apparence, et qui sont peut être de plus en plus réelles parce qu'elles sont de moins en moins projetées. Il faut absolument se souvenir que sentir du subtil n'est pas une autre forme de snobisme, mais c'est sentir l'inaltérable qui se tient derrière les apparences solides. Ce qui pèse des milliards de tonnes, n'est pas ce qui va durer le plus longtemps, ce n'est pas ce qui tient notre monde. Il faut entrer dans la vibration de tout cela. C'est cela aller vers l'ultime, mais en sachant qu'il n'y a pas d'arrivée, ou bien d'étape finale au sens où notre mental le conçoit.

L'univers n'est ni fini, ni infini, ce débat n'a pas de sens. Car " fini " et " infini " ne sont que deux concepts humains. Or l'univers ne rentrera jamais dans aucune de nos idées, il est bien trop inconcevablement sauvage pour ça.

Nous allons nous retrouver aux confins de l'univers, comme dans un film de science fiction en explorant toujours de plus en plus loin !! avec des rebords qui ne sont ni des murs, ni des infinis...

C'est surtout un voyage au sein de nos facultés, et de nos absences de projections. C'est un voyage dans notre silence, c'est à dire être en état de regarder entre nos projections, être en état de comprendre ce que nous voyons entre nos projections. Bien évidemment, nous sommes toujours dans les sensations, ce ne sont que des sensations, il n'y a donc rien d'absolu là dedans. Fort heureusement, il y a toujours cette vigilance qui devra nous dire que ce que nous percevons n'est jamais le réel absolu. Vu cette situation, tout ce que nous pouvons faire, c'est nous réaliser, tout en sachant que cela reste ultra subjectif. C'est donc finalement une forme d'humilité. Ce qu'il nous reste à faire c'est, d'une part exercer nos facultés les plus fines et, d'autre part, croire le moins possible en nos projections. A partir de là il commence à se produire en nous des mouvements de nature inconnue. On les laisse alors se développer, toujours dans un sens positif de clarté.

Mais comment pouvons-nous nous réaliser si nous ne sommes rien ?

Nous ne sommes rien de nos projections et de nos pensées. Ce que nous pensons de nous mêmes, ce n'est pas du tout ce que nous sommes. Avec toutes nos conceptions sur nous mêmes, avec nos idéaux, nous ne faisons que tourner autour du pot. Dans l'avance perceptive vers la subtilité, nous réalisons aussi combien nous ne sommes pas notre volume. Le volume de notre corps, celui de notre énergie, ce n'est pas réellement nous mêmes. Il se fait une égalisation entre le monde et nous. Nous retirons les murs qui entourent notre individualité, et nous regardons ce qui se passe.

Mais le subtil est tellement fugitif, c'est comme du vent. Nous ne pouvons pas baser notre vie là dessus !

Non c'est subtil parce que nous n'avons pas l'habitude de le percevoir, nous nous basons plutôt sur ce qui paraît le plus solide. Or ce qui est le plus solide, c'est aussi ce qui va disparaître. Donc nous cherchons à imaginer ce qu'il pourra bien rester quand tout sera parti. Ce qu'il reste est quelque chose qui est subtil à notre perception, mais qui est une base de l'univers. Cela fonctionne sans cesse.

Que restera-il de nous ?

Essayons de tout retirer, la chair, les sensations, l'énergie, il reste comme un pressentiment à la fois lointain et très puissant. Alors il nous reste à sentir où se trouve ce sentiment. Avec beaucoup de méditations sur les sensations les plus fines, nous nous apercevons que cela semble se situer dans la région du cœur. Avant de réaliser cela, nous avons pris connaissance de sensations très profondes qui circulent à l'intérieur, et tout le long de notre axe. Il est parcouru par des sensations différentes. Certaines traditions ont pu délimiter des centres sous formes de " chakras ". Cela peut se discuter, car les localisations sont plus vivantes, plus globales. Peu importe s'ils existent ou non, et en quels endroits exactement, ce que nous pouvons sentir, c'est qu'en tous cas, il se passe quelque chose tout le long de notre axe. Avec de l'entraînement, on peut voir que ce qui circule tout le long de cet axe, ce n'est pas seulement de l'énergie, mais aussi certains types d'informations. Il faut absolument prendre le temps de ressentir cette circulation d'informations, il faut se poser dedans. Alors nous nous apercevons d'une chose : ce qui ne passe pas par le cœur n'aide pas à notre réalisation. Il faudrait que toutes les informations passent à un moment donné par le cœur. Mais le cœur à son tour ne suffit pas non plus. Tout ramener à notre cœur individuel, cela revient à ne vivre que dans notre monde affectif, qui est aussi un monde projectif. Malgré la force de nos émotions, de nos passions, de nos nobles sentiments, il faut bien que nous admettions que nous sommes encore en train de projeter. Il faut autre chose pour nous guider. C'est là qu'entrent en jeu les deux centres les plus hauts. Celui qui est au sommet du crâne, et celui qui est au dessus du crane. C'est ce qui permet de nous situer à méta niveau, et d'être guidé dans la grâce d'une vue d'ensemble infiniment vaste.

Quand nous travaillons en étant guidé par ces centres du sommet de la tête, tout en passant par notre cœur, nous nous apercevons que la notion d'espace change. Nous découvrons un axe d'une très grande finesse en nous. Mais curieusement, plus il est fin, et plus il est puissant. Car il n'a besoin ni de quantité, ni de volume. En même temps que sa finesse, il est relié à un espace qui est infini, grâce aux deux centres du haut. Nous pouvons en même temps disparaître et tout remplir. C'est n'est pas que nous sommes devenus énormes, c'est que nous ne ressentons plus de limitation dans nos identifications. Il n'y a pas de mur. Certaines traditions nomment cela le " canal central ", c'est là qu'ont lieu les résorptions, ainsi que les expansions. Pour simplifier, on pourrait dire que c'est à partir de cet axe fin que nos illusions, nos apparences s'illuminent vers l'extérieur, et c'est dedans qu'elles disparaissent. C'est une respiration complète où l'on intègre toutes les illusions, rien n'est mal, il y a juste des expansions et des résorptions.

Nous passons en quelque sorte dans un voyage où la texture de l'espace change.

Nous réalisons que c'est le changement de la texture de l'espace qui nous fait voyager.

Et le dédoublement dans tout ça, où se situe-t-il ?

Les voyages dits " en dédoublement " auront permis d'explorer divers corps énergétiques, en mettant en mouvement des masses d'énergies qui nous constituent.

Je ne comprend pas bien.

Après nous être plutôt identifiés à notre énergie, nous lui avons fait faire des mouvements de plus en plus inconcevables.

Des dédoublements acrobatiques ?

Des manœuvres de plus en plus audacieuses, mais non pas dans un délire imaginaire.

Comment vérifier les acrobaties ?

En le faisant sentir à d'autres, ou bien en vérifiant que nous avons bien été dans les endroits désignés par l'exercice que nous faisons. Il est très facile de mettre en place un cadre qui permette de faire des corrélations. Où se trouve telle personne ? Dans quelle position elle est ? Ce qu'elle fait ? Ce sont des choses que l'on peut directement vérifier.

Vous pensez donc qu'il faut toujours vérifier ce que l'on fait en dédoublement pour faire la part des choses ?

Oui, cela ne coûte rien, juste la peur de se confronter à un résultat, et permet avec l'expérience de mieux faire la distinction entre ce que nous projetons et ce qui est vu en dédoublement.

Mais si nous ne sommes au fond qu'un canal, qu'un axe central très fin et très subtil, qu'est-ce qui se dédouble ?

Des corps énergétiques plus denses peuvent être projetés, et peuvent aller sentir loin du corps physique. Mais il y a aussi des façons très fines de se projeter, comme en passant par les centres du haut de la tête. Nous pouvons parler d'un voyage spirituel qui relève d'un chamanisme d'élévation. C'est à dire d'une relation très archaïque, très ancienne, très profonde, avec ce qui se trouve " très au-dessus de nous ".

Elévation ?

Quand nous nous projetons par le haut, cela veut dire qu'il y a déjà un certain détachement puisque on vise des mondes sans formes. C'est à la fois un sentiment d'élévation physique, et donc une réelle réalisation de détachement. Détachement signifie que nous lâchons prise.

Comment un monde peut-il être sans formes ?

C'est toujours une façon de parler. C'est pour dire qu'il y a des trajectoires perceptives, qui nous font réaliser des états dans lesquels nous n'avons plus besoin de prendre prise sur des formes. On part d'une perception courante, puis on la décale de plus en plus, autant que nous pouvons le supporter. Pour réaliser qu'il n'y a pas d'objet fixe. Une représentation n'est qu'une représentation. Une pensée est une pensée. C'est très simple, et ensuite on tente de pressentir ce qu'il reste quand rien ne fonctionne.

C'est un peu ce que raconte Don Juan à Castaneda quand il lui parle du Nagual, l'endroit qui est au delà de tout ce que l'on peut concevoir.

Sauf que l'on ne peut plus parler de lieu puisque c'est une délocalisation. Nous pourrions dire que nous entrons dans un état de notre être qui n'a pas besoin de s'appuyer sur des conceptions, qui n'a pas besoin de prendre prise sur quelque chose. C'est un peu ridicule de dire qu'on " entre " dans le Nagual, puisqu'on ne peut y " être " que dans un état d'union irréfléchie.

Comment pouvons-nous passer du dédoublement " astral " comme disent certains, à cette forme de dédoublement par le haut ?

C'est une question d'attirance. Mais aussi nous pouvons explorer nos facultés dans toutes les directions avant de chercher dans des " mondes sans forme ". La pratique de dédoublements avec des formes d'énergies proches du corps physique, donc des sensations visuelles, tactiles, auditives, permettent des vérifications. C'est un ancrage qui permettra ensuite des perceptions plus audacieuses.

Dans la dynamique du voyage, il y a aussi celle du retour. Nous partons avec l'idée de revenir afin de partager les effets de ces pratiques. La dynamique du travail est nourrie par l'anticipation du retour pour donner, et partager. Nous disons bien " partager " car il ne s'agit jamais de convertir à quoi que ce soit. Partager veut dire que l'autre va sentir ce dont il a besoin dans une facette de nous, il va s'en inspirer, il va trouver cela inspirant. Il n'y a pas besoin de convaincre de quoi que ce soit. Ce sont des inspirations mutuelles, des échanges d'informations sans besoin d'adhérence. Et puis s'il n'y a pas d'inspiration, c'est tant pis, nous sommes là ensemble, et puis c'est tout, il n'y a même pas besoin de partager quelque chose.

S'il y a, comme vous dîtes, un voyage dans une dimension sans formes projetées, je ne vois pas bien ce que l'on peut ramener ici bas.

Nous ramenons une forme de réalisation. Dans un premier temps, quand nous voyageons dans l'élévation, nous sommes en possession d'une direction. Ou plutôt nous sommes possédés par une direction. Instinctivement nous nous élevons le plus haut que nous le pouvons. Ce voyage possède donc sa propre boussole, elle est inhérente à l'élévation, c'est la hauteur. C'est simple et direct, le cœur peut partir avec, pour toutes ces raisons c'est extrêmement puissant. Nous avons l'impression que notre conscience s'élève physiquement, ensuite il y aura différents seuils. Certaines techniques permettent de passer ces seuils tout en ayant des gardes fous. Il faut être conduit par quelqu'un sur qui on puisse s'appuyer, et qui nous permette d'abandonner nos appuis connus. Nous prenons donc un appui nouveau afin de quitter notre connu. Toute une partie du travail s'effectue dans ce registre d'accompagnement. Il est clair qu'il faut s'appuyer sur une personne parfaitement nette, pour pouvoir prendre un essor en toute confiance. Cette personne s'efface devant notre propre élévation, elle pousse l'élévation, nous rassure, mais en aucun cas ne va nous arrêter et nous influencer. Cette sorte de guide va nous permettre de faire attention, de nous souvenir de ce que nous avons senti, du subtil que nous avons oublié. Vous voyez, il ne va pas dire " c'est comme ceci ou comme cela ", ou " ça devrait être ceci ou cela ", non, nous allons cerner nos propres perceptions, et en faire nous mêmes la synthèse dans notre cheminement. Ce travail repose sur nous, c'est difficile, il n'y a aucun dogme sur lequel s'appuyer.

Parce qu'il y a sans doute des dangers de manipulations ?

A partir du moment où l'on s'abandonne, il y a un danger d'être manipulé, c'est à dire d'être conduit dans un chemin trop relatif, d'être influencé par les images du guide, voire même d'être abusé. Il faut qu'il nous pousse à nous promener, à regarder, il ne faut pas qu'il ait peur de venir avec nous, et de regarder avec nous. Il doit lui-même savoir prendre d'autres chemins que les siens, ou bien avouer franchement qu'il ne peut pas. Il doit dire où il est, où il reste, et non pas amener à voir comme lui en donnant des réponses qui court-circuitent les explorations.

Comment sentir que l'on est abusé ?

Le guide doit être là pour nous ouvrir à l'expérience que nous avons sur le bout des doigts, celle pour laquelle nous sommes mûrs. C'est toujours une expérience où l'on sort plus ouvert et plus lucide. Ce n'est pas une expérience qui nous enferme dans une vision, et qui nous met des œillères sur le reste. Nous sommes dans le panorama du monde. Nul ne peut vendre un système progressif qui nous garantisse l'atteinte d'un but extraordinaire. Les promesses sont dangereuses, en réalité nous n'en avons pas besoin, il suffit d'explorer ce qui est là, et de faire ce qui est pertinent pour nous dans la proximité de ce qui se produit. Ce qui nous manque c'est de réussir à sortir de nos conditionnements pour accroître l'acuité de notre conscience .

Mais comment avoir conscience de l'expérience qui nous est nécessaire ?

Dans un premier temps, il faut être capable de se poser, de rester dans un certain degré de silence, et de percevoir avec clarté ce qui se passe en faisant fonctionner nos sens, et les synthèses qu'opère notre cerveau. C'est à partir de ce calme là que nous pouvons ressentir ce dont nous avons besoin, et ce qui se présente à nous pour être exploré. Ce qui est juste se présente à nous, ce n'est pas la peine de courir dans tous les sens pour explorer le monde. On passe d'une chose simple à une autre chose simple, et ainsi de suite sans se torturer.

Et cela fonctionne pareil quand nous nous élevons, il y a cette même exploration de proche en proche ?

Oui, ce qui se présente est personnel. Le guide va sentir en même temps que vous ce qui apparaît dans votre conscience, il va vous aider à le cerner, puis à le dépasser.

Cela paraît extraordinaire, comment est-ce possible ?

Cela se fait très naturellement, et ne semble pas extraordinaire au moment où ça se passe. Au contraire, il y a un tel état d'écoute de part et d'autre qu'il semble logique de sentir les mêmes choses. Surtout on ne se dit pas " oh la la, ça y est, c'est la télépathie qui marche ", non on ne pense pas, on sent ensemble, et directement.

Mais qui peut faire cela ?

Mieux vaut ne pas mettre ça sur des personnes, mais dire que ce sont des situations optimales qui ont été crées par le bon état des personnes réunies.

Des rites qui fonctionnent bien ?

Plutôt des bons accordages qui rendent toutes choses extrêmement directes. Plus on se fixe sur des personnes, plus il y a risques de dérapages, et de retours sur les petits personnages. On perd son temps parce qu'on perd de vue l'immensité. C'est à nous tous de créer les bonnes situations. Créer un ensemble, et non pas une adulation pour une personne sur qui on projette nos désirs.

Il faut donc arriver à une sorte d'autonomie de l'âme ?

Il y a en même temps une autonomie et une union. Il semble qu'à une certaine " hauteur " d'élévation, nous sortions du registre de l'accompagnement, le guide se met en retrait, s'absente pour laisser la conscience de l'accompagné vivre seule sa propre expérience. Dans cette phase, il y a une étape où nous réalisons qu'il ne reste plus que notre conscience. Mais cette conscience n'a plus personne à qui appartenir. Nous nous apercevons que nous n'avons pas de conscience, puisqu'elle n'appartient à aucun personnage, à aucune dualité. Alors naturellement, nous passons à une autre expérience au cours de laquelle nous sommes directement conscience. Mais cela va encore plus loin puisque cette conscience n'est pas un morceau, n'est pas un objet. Il n'y a donc qu'une seule solution : Il n'existe qu'une seule conscience, et pas plus.

Donc ce que nous croyons être " notre conscience ", cela n'existe pas en tant que " notre ", mais en tant que conscience unique ?

Ce que nous avons toujours cru est faux. Ce n'était qu'une sorte de dialogue intérieur qui se disait à lui même qu'il existe, et qu'il est conscient. C'est sans doute une forme très très élaborée d'activité mentale, mais ce n'est que du mental qui se dit qu'il existe en tant que morceau séparé. C'est juste un discours. Un peu comme si à force de répéter des assertions avec tout le monde, vous finissez par croire que c'est vrai. Alors que ce n'est qu'un discours.

Vous voulez dire que notre mental est tellement évolué qu'il parvient à se convaincre lui même ?A se prouver à lui même ce qu'il veut.

Oui, et on passe à côté de la réalisation d'une conscience unique. Et c'est le mental qui nous fait passer à côté. Pas parce qu'il est diabolique, juste parce qu'il croit avoir trouvé un moyen de se refermer sur lui-même. Il croit avoir trouvé une solution en se faisant croire qu'il est autarcique.

Pourtant notre mental est lucide, il parvient à discerner ce qui est faux.

Cela se passe toujours dans un domaine relatif, à l'intérieur d'un certain monde, d'un certain modèle de description. Le mental est pertinent à fonctionner dans le modèle qu'il a construit ou qu'il a compris. C'est très important d'avoir ça en nous. Mais cette vision partielle du monde que le mental a construit pour agir, c'est juste une description possible, ce n'est pas une vérité. Le problème, c'est qu'il faut toujours un certain temps avant que quelqu'un parvienne à montrer à ses congénères les limites d'une description. Pendant ce temps là, nous nageons dans les fausses certitudes tout en croyant vivre pour de vrai.

Il faudrait donc perdre nos certitudes pendant qu'elles semblent encore vraies ?

Cela devrait être dans leur nature de s'autodégrader automatiquement, afin de pouvoir passer à autre chose. Quitte à y revenir. Peu importe, du moment qu'on peut entrer et sortir. Autant jouer avec les descriptions possibles. On peut s'amuser à changer de point de vue sans se laisser enfermer. Tout devient beaucoup plus drôle.

Et vous pensez que le dédoublement en élévation permet de relativiser au maximum ?

Il y a une masse de descriptions possibles de la réalité, et on tente de sortir de toute description, de toute représentation. On tente de rester dans cet état là, et de prendre conscience de ce qui arrive. C'est une telle hauteur de vue que cela permet d'englober pas mal de choses.

Mais qui est là pour sentir, puisqu'il n'y a qu'une conscience ?

Quand nous vivons des états d'union, nous sommes sans le savoir déjà sur le chemin du retour. Cet état sans personne, où il ne se produit qu'un état de conscience unique, cet état est indescriptible. Mais il y a un moment subtil où nous commençons à en revenir, à penser imperceptiblement " tiens, j'ai senti l'union ", " tiens, je suis là ", et en fait le " je " est revenu. Et c'est là qu'il recommence à y avoir un personnage qui a une conscience, et qui a fait un expérience. Il y a une sorte de mélange entre dualité et unité, sans qu'on sache lequel est en train de prédominer, c'est une zone floue qui est cruciale. Nous sommes entre deux eaux. C'est crucial, car nous sommes en train de réaliser l'unité entre l'union et la dualité. Mais c'est encore une autre histoire.

Si, si dîtes.

C'est peut être comme dire que le Nirvana et le Samsara sont de même nature.

Mais peut être qu'il ne s'est rien passé de tout ce que vous dîtes ?

Peut être en effet qu'il ne se passe rien, sans jouer sur les mots, il n'y a peut être aucun besoin qu'il se passe quelque chose. Et en soit c'est une très grande réalisation.

C'est hors karma ?

Si le mot " karma " veut dire action, sans doute qu'il n'y a plus d'action, c'est un niveau de non agir absolu, la conscience n'agit pas. On ne peut rien en dire, et c'est vrai que cela peut mener à tous les délires. Sauf qu'il y a le retour qui matérialise le sceau d'une expérience. Il y a un niveau, disons dans lequel la personne n'existe plus. Au moment où nous prenons conscience de cela, c'est que la personne est déjà en train de revenir.

C'est pour cela que nous sommes sur le chemin du retour ?

Oui nous commençons à introduire des représentations, des images, des mots etc etc. mais nous gardons les traces d'une expérience dans notre comportement. Nous savons encore mieux à quel point tout est uni. Nous avons fait l'expérience d'une conscience une et indivisible, c'est une union authentique. Et nous effectuons un retour en nous identifiant un peu mieux à cette unité. Comme si dans notre vision des choses, une unité absolue colorait un peu mieux les apparences.

Copyright PADOVA 7 février 2002